Nuits noires. L'art du nocturne expérimental dans le cinéma d'Albert Serra
Résumé
Tombée du jour sur un champ de la Mancha, nuit étoilée sur un désert biblique, transactions alchimistes à minuit, rencontres de pleine lune dans un bois libertin : lorsqu’il fait nuit dans les films du cinéaste catalan Albert Serra, cela va littéralement jusqu’à la nuit noire. La tombée de la nuit y constitue le moment cinématographique privilégié : qu’on finisse par en voir trop ou qu’on n’y voie plus rien, elle est un processus d’immersion dans le film, d’accommodation progressive au radicalisme de l’image ou de sa soustraction. Se fondant sur l’analyse des nombreuses scènes à très faible luminosité naturelle dans la filmographie, cette proposition défend l’hypothèse selon laquelle la nuit filmée, et en particulier le processus de déclin qui conduit jusqu’à la nuit noire, y serait travaillée comme un dispositif méthodologique et perceptif expérimental : du moment du tournage à celui de la réception en salle, poussé à ses dernières extrémités symboliques et visuelles, le nocturne radical serrien consiste essentiellement en une mise en situation-limite du regard et de son objet.